PAROISSE SAINT ELOI

SECLIN - ATTICHES

Communiqué de Mgr Laurent ULRICH, archevêque de Lille

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Lille, le 6 décembre 2018

Dans la situation présente la révolte des gilets jaunes

Est-ce que nous pouvons réfléchir sur cette violence qui court dans notre société, non pas depuis quelques semaines, mais depuis des années ? sur les insatisfactions qui de fois en fois, de mandat politique en mandat politique, reprennent le dessus, après de brefs moments d’espoir timide… Car, après avoir attendu beaucoup des élections qui jalonnent notre vie politique depuis une petite vingtaine d’années, notre peuple n’arrive pas à trouver son unité, et à nourrir un certain goût pour l’avenir.

Certes il y a plusieurs profils types de « gilets jaunes ». En dehors de professionnels des manifestations qui poussent à la violence, une grande majorité d’entre eux expriment surtout la difficulté de vivre dans les conditions actuelles : selon les analyses, cela concerne des personnes de milieux populaires et intermédiaires, venant souvent des zones rurales et des petites villes. Et des personnes qui côtoient, impuissantes, cette misère au quotidien.

Il existe une situation d’abandon que beaucoup ressentent : les campagnes, et les périphéries urbaines, en raison de choix anciens déjà d’aménagement du territoire se sentent reléguées.

La France du TGV par exemple dessine un paysage discontinu qui nous fait sauter d’une grande métropole à une autre, en gommant presque le territoire qui les sépare, ou en le réduisant en quelque sorte à un paysage. Même si la création d’universités dans les régions avait tenté d’enrayer cette dérive vers la « métropolisation ».

Mais il existe aussi la fracture numérique qui isole les personnes qui n’ont pas l’accès facile et quotidien à Internet ou l’usage habile et régulier des Smartphones et des réseaux sociaux.

Et pour tous, il existe aussi une expérience très frustrante de n’avoir plus d’autre interlocuteur, pour les multiples nécessités de la vie quotidienne, que l’écran pour se renseigner… On ne sait plus à qui parler pour être conseillé, guidé, pour réagir, pour s’opposer, pour se plaindre !

En réalité, ces facteurs et quelques autres constituent la trame de fond de ce malaise, de cette violence latente depuis plusieurs années, et qui explose maintenant.

Et puis l’attente de solutions de plus en plus urgentes fait monter la pression, et rend malheureusement la politique incapable de les apporter. La création, au début du mandat présidentiel, du ministère de la cohésion des territoires montre que le monde politique est conscient de ces fractures et de cette désespérance qui monte.

Si l’on a une certaine vision à long terme – et c’est ce que devrait produire la politique – on doit pourtant proposer des solutions à court terme, en raison d’une part des échéances électorales régulières et d’autre part des besoins criants d’une part grandissante de la population qui n’aperçoit pas d’amélioration dans ses conditions de vie.

À travers des questions qui touchent la vie pratique et quotidienne, ce sont de véritables interrogations sur le sens de la vie en société qui sont aujourd’hui posées, et qui attendent des réponses pour le court et pour le long terme.

Aujourd’hui, l’apaisement est la première urgence. Le conflit s’est envenimé autour de la pression des taxes sur le prix des carburants, et donc sur l’étranglement de certaines catégories de personnes qui ne peuvent pas se passer de se déplacer, à trop grands frais, pour pouvoir travailler.

Mais très vite d’autres motifs se sont ajoutés qui coalisent des attentes contradictoires ou tout simplement juxtaposées. Parmi celles-ci, certaines que j’ai énoncées plus haut se trouvent plus ou moins mises en lumière.

Passer à l’action politique, c’est-à-dire à la responsabilité, au dialogue, aux propositions à discuter, à la représentation, voilà l’étape d’aujourd’hui. On sent bien que le coeur n’est pas encore prêt à ce passage … mais c’est une étape nécessaire ; il n’y a pas de société qui tienne sans cela.

Personne ne peut vraiment nier qu’il existe une urgence écologique, un réel besoin de diminuer l’empreinte de notre activité humaine sur la bonne santé de notre planète. Et l’accroissement de nos demandes énergétiques réagit, on le voit clairement, sur ceux qui ont le moins de capacité financière, les plus pauvres ; elle est bien vraie l’analyse du Pape François : « Tout est lié ! » (9 fois dans l’encyclique Laudato si’) : il nous faut « écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres. » Laudato si’, n°49.

On aura beau dire qu’on ne peut pas être un jour pour la modération de la consommation énergétique et le lendemain pour continuer à épuiser nos ressources. Mais voilà : on ne peut pas continuer à réduire à l’indigence ceux qui ont déjà du mal à vivre tout simplement. Les changements trop brusques de cap ne peuvent que cabrer…

Je prie Dieu notre Père chaque jour en lui confiant notre pays pour qu’il nous conduise sur les chemins du bien commun, de la justice et de la fraternité.

J’invite tous ceux qui le veulent à rejoindre les célébrations dans les églises ou à s’unir par la pensée ou en petits groupes aux prières qui montent vers le Seigneur pour notre peuple.

Si nous le voulons, nous pouvons prier ainsi :

Seigneur, donne à notre pays de chercher les chemins de la justice et de la fraternité. À ceux qui exercent les plus hautes responsabilités le courage et le discernement. À ceux qui souffrent de grandes difficultés pour vivre de combattre sans violence. À tous de chercher les voies du bien commun, par le dialogue et le respect mutuel. Et à tout notre peuple de vivre dans la confiance et le goût de l’avenir.

† Laurent ULRICH

Archevêque de Lille

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